Le thème de résilience est aujourd’hui abordé dans les entreprises, les associations, chez les professionnels de santé…

Un sujet dont tout le monde parle mais dont la définition est parfois à contre-sens ou éloignée de la réalité.

Cet article est un résumé de la conférence de Boris Cyrulnik qui s’est déroulée à l’Université de Nantes. Pour ceux qui le découvrent, c’est un neurologue, psychiatre, éthologue et psychanalyste français.

La résilience : définition et théorie

Boris Cyrulnik définit la résilience avec cette problématique : comment reprendre un développement après une agonie psychique ?

On était en train de vivre, il arrive un évènement impensable qu’on ne sait pas gérer, on ne peut pas l’affronter. Que se passe-t-il ensuite ?

Nous avons deux options :

  • Rester prisonnier du passé : c’est ce qu’on appelle le syndrome psycho-traumatique
  • Ou se débattre et se remettre à vivre « le moins mal possible »

Cela veut dire que nous disposons d’un degré de liberté, et que nous ne sommes pas totalement soumis aux évènements qui nous « fracassent ».

Ce fracas, nous le recevons, mais nous n’y sommes pas complètement soumis. Nous pouvons ainsi chercher ce qui va nous permettre de reprendre un autre développement.

Nous pouvons donc agir sur le milieu qui agit sur nous.

Il y a dans la vie ce qu’on appelle des « mal-partis » : nés pendant la guerre, tragédie familiale, précarité sociale… et des « bien-partis » : situation familiale stable notamment, cocon familial, amour des parents…

C’est le cas de Germaine Tillon à qui Boris Cyrulnik tient à rendre hommage durant cette conférence.

L’hommage à Germaine Tillon entrée au Panthéon le 24/05/2015

Né en 1907, c’est une personne « bien partie » dans l’existence :

  • Un père juge de paix
  • Une mère qui travaille dans l’édition
  • Une Famille de notable

Germaine Tillon dispose donc d’une niche sensorielle qui stabilise, dynamise, sécurise tous les enfants.

La première épreuve de sa vie (qui n’est pas un traumatisme) est la mort de son père quand elle a 18 ans : il meurt d’une pneumonie. Ce n’est pas un traumatisme mais un chagrin, une période de deuil car elle reste dans l’épreuve. Par opposition, un traumatisme dépersonnalise une personne, on ne sait plus qui on est et on ne peut résoudre une chose qu’on juge impensable.

S’il y a des rituels du deuil, le soutien familial, le soutien religieux, le soutien culturel et social, on souffre mais on n’est pas détruit. A ce titre, on ne peut qualifier cela de traumatisme même si l’évènement est douloureux.

En 1932, Germaine Tillon part voyager aux Pays Bas et en Allemagne. Ce dernier pays dispose d’une belle culture et c’est pourtant cette belle culture qui va être une des plus grosses tragédies de l’humanité.

Lorsqu’elle revient de son voyage, elle est inquiète. Elle a constaté des choses en Allemagne qui l’interpellent et dont elle parle autour d’elle. En 1934, elle part étudier les tribus berbères dans les Aurès (Algérie).

Elle rentre ensuite en France. Suite à la capitulation du Maréchal Pétain durant la Seconde Guerre Mondiale, elle s’engage dans la Résistance non-armée.

L’arrestation et la déportation

En 1942, elle est arrêtée. Elle avait rendez-vous avec un prêtre, et ce prêtre l’a dénoncée à l’armée allemande.

Elle se retrouve donc à Ravensbrück, en Allemagne, où elle vivra trois années de souffrance.

Cette femme forte pense à la mort : elle déclare qu’il vaut mieux mourir que de vivre dans ces conditions.

30% des personnes présentes dans ce camp de concentration mouraient lentement. Elle ne parvenait pas à comprendre que des hommes fassent cela à d’autres hommes et déclenche ainsi un traumatisme.

Après le traumatisme, vient le moment de se demander ce qu’elle va faire de cette blessure et du témoignage qu’elle va en faire. Elle met en place des mécanismes de résistance. Nous ne sommes pas encore au stade de la résilience.

Une observation de la situation

Germaine Tillon va alors observer les SS, prendre des notes et analyser notamment les comportements des femmes SS.

Elle racontera d’ailleurs que lorsque ces mêmes femmes SS arrivent le premier jour dans le camp de concentration pour endosser leur fonction, elles sont sidérées, outrées, désarmées par la violence du camp et de ce qu’elles voient.

Et le quatrième jour, elles deviennent aussi meurtrières que les autres gardiennes, elles ont été déshumanisées, désocialisées, et font preuves de cruauté.

Germaine Tillon mène alors des réunions le soir avec les autres femmes déportées, où elle leur retransmet son travail d’ethnologue. Elle s’attarde à traduire les comportements des SS et à expliquer leurs comportements.

C’est ainsi qu’elle raconte notamment qu’elle assiste à une scène assez surréaliste dans ce contexte : un soldat SS courtisant une autre femme SS. Elle installe ainsi, dans l’horreur, un sentiment de sécurité chez ces femmes déportées, où leurs bourreaux sont aussi capables d’aimer, de ressentir des choses, comme elles.

Mais contrairement à elles, ils se sont laisser embarqués par une idéologie destructrice, en s’y soumettant, perdant ainsi leur propre jugement et se rendant esclave de cette idéologie.

Elle inverse ainsi les rôles en conférant le rôle de perdant aux SS, et en expliquant aux femmes déportées qu’elles n’ont pas perdu elles leur dignité. Elles conservent alors leur degré de liberté intime. C’est ce qui fera toute la différence durant cette période tragique.

Comment a-t-elle pu déclencher si vite ce processus de résilience ?

Germaine Tillon avait acquis les deux facteurs dans son enfance avant le 20 ème mois, qui en cas de malheur ou de traumatisme lui assureront une protection future :

  • L’attachement sécuritaire : famille stable, cultivée, sentiment de paix au sein du domicile familial
  • La mentalisation : un enfant préverbal est capable d’accéder à un monde de représentation mentale. Avant de parler, les enfants sont capables de dessiner. Ces dessins sont des morceaux d’affection qu’ils nous offrent.

C’est ainsi que Germaine Tillon a pu développer ce processus de résilience.

résilience c'est quoi

Ces enfants qui ne connaîtront jamais la résilience

Un enfant sur trois n’a pas connu ce cadre parce qu’il a, pour exemple, perdu un parent, parce qu’il vit dans un pays en guerre, parce qu’il y a une violence conjugale au sein du foyer, qu’elle soit verbale ou physique.

Se disputer à côté d’un enfant, c’est agresser cet enfant lui-même car il ne sait pas gérer cette information : c’est un traumatisme. Il n’est pas en capacité de résoudre cela.

Sans interventions auprès de ces enfants qui ont subi un traumatisme, des troubles durables s’installent et on retrouve ensuite des adolescents qui ne savent pas contrôler leur passage à l’acte. On constate des courts-circuits mentaux. Ils ressentent une émotion qu’ils ne savent pas traduire. Ces dysfonctionnements s’installent dans la mémoire et certaines substances ne sont plus déclenchées.

Pour illustrer ce propos, Boris Cyrulnik prend l’exemple d’une personne parlant gentiment à une autre personne : cette personne entendant ce discours agréable sécrètera une hormone positive comme l’opioïde.

Ces mêmes enfants à la place de Germaine Tillon n’auraient pas déclenché de processus de résilience.

Dans la vie normale pour ces enfants, tout est pour eux une agression puisqu’ils ne mentalisent pas :

  • Un regard
  • Une parole

Chaque émotion déclenche pour eux une agression, un sursaut, une aversion.

La mémoire de ces enfants se fera sous forme de trace dans le cerveau, non de souvenir.

C’est ce que Freud appelle l’amnésie des premières années, avant la maîtrise de la parole.

La réaction au traumatisme

Germaine Tillon réagit très vite.

Elle écrit d’ailleurs une opérette dans les camps de concentration. En faisant ceci, elle transforme ainsi l’horreur de ceux qui les torturent en humour. Elle offre ainsi une prise de recul aux personnes déportées, inversant la situation de l’horreur en ridiculisant leurs agresseurs à travers cette opérette.

A la libération, Germaine Tillon se « retape » physiquement et veut faire quelque chose de sa blessure. Elle réalise ainsi un document, un recueil de témoignages des femmes déportées, pour que ça ne revienne jamais. Germaine Tillon apporte ainsi ses preuves de déportation de Ravensbrück, à différents procès qui auront lieu ensuite.

Elle représente à elle-même le principe de la résilience. En effet, elle a fait quelque chose de sa blessure et n’a pas été soumise en gardant ainsi sa liberté.

Elle retournera ensuite en Algérie pour travailler. Elle est partisane de l’indépendance de l’Algérie et y dénonce la torture de l’armée française à l’époque. Cependant, elle critique également le FLN qui effectue de terribles attentats. Elle s’attire ainsi les foudres des deux camps et ne veut pas choisir un camp.

Choisir son camp : une aliénation

Choisir son camp est une phrase d’aliénation. On se doit de choisir ce qu’il y a de bien chez un adversaire, tout en évitant de voir ce qu’il y a de mal chez ce même adversaire. Et inversement, on voit ce qu’il y a de bien dans son propre camp, en occultant le reste : c’est le principe même de l’aliénation.

Germaine Tillon est dans une situation d’inconfort car elle critique les deux parties. C’est une femme vraie, acceptant de ne pas tout savoir, et de rechercher les éléments de réponses. Cependant, elle n’a pas fait de carrières universitaires, et a suivi son propre chemin. C’est une autodidacte qui s’est façonnée une image de cette façon.

Elle avait en elle tous les facteurs de résilience : l’attachement de sécurisation et la mentalisation. Germaine Tillon a évidemment eu un traumatisme, avec cette déportation. Mais elle s’est remise à vivre ensuite, en tenant compte de l’énorme blessure qu’elle avait dans sa mémoire.

Conclusion et ouverture

Germaine Tillon ne s’est jamais laissée prendre à un langage totalitaire. Elle a toujours su garder sa liberté de jugement et n’a jamais connu l’aliénation.

Cependant, un problème se pose aujourd’hui.

Que voyons-nous revenir : le langage totalitaire. Choisissez votre camp, que ce soit dans le domaine politique, religieux ou scientifique.

Le danger du langage totalitaire est là : on se laisse prendre à une certitude, une seule vérité. Ce mode de pensée est extrêmement dangereux.

Certains scientifiques s’attribuent des trouvailles, des vérités absolues, alors que l’essence même du travail d’un scientifique est de poser une question, de proposer des réponses qui elles-mêmes amènent dix autres questions.

La nuance, l’échange, la confrontation d’idée, le dialogue, sont autant de choses qu’il nous faut conserver dans le monde actuel pour préserver la paix.

Si vous souhaitez accéder à la conférence complète : voici le lien.

Alexandra

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1 – La gestion émotionnelle

2 – Le pouvoir du choix

3 – La motivation au quotidien